Par Jean-Cédric Jacmart – Fondateur de la ferme de Desnié - Mars 2023
« Comment est-il possible qu’un outil aussi génial capable de résoudre les problèmes du monde soit aussi méconnu ? », me questionna Géry, un wwoofer voyageur à vélo, en transit à la ferme de Desnié en ce mois de mars 2023. Nous venions de prendre un repas au cours duquel j’avais partagé mon enthousiasme et ma passion depuis ma découverte du mouvement de la permaculture il y a une dizaine d’années déjà. Cela faisait un long moment que j’envisageais d’écrire un article sur le sujet et la réaction de Géry me donna enfin l’élan de coucher par écrit ce sujet qui requiert une grande précision pédagogique. Mon intention étant de transmettre les meilleures définitions de la permaculture pour en cerner toute la puissance. Cela sera aussi l’occasion de clarifier les définitions de la permaculture, auprès de ceux et celles qui sont déjà initié-es et qui expriment régulièrement le besoin d’en intégrer davantage les concepts. Puisse cet article contribuer à faire découvrir et à diffuser le génie de cet outil dont l’humanité a cruellement besoin en ce moment.
Fausses croyances
Créé et développé dans les années 1970, il est étonnant, pour ne pas dire consternant, que le mot « Permaculture » évoque toujours singulièrement auprès du grand public une technique de jardinage, composée d’une savante organisation d’association de plantes et de légumes au jardin. Le tout, flanqué de buttes dites en « lasagne », composées comme un mille-feuille de couches superposées de matériaux ligneux carbonées et de matériaux verts azotés, le tout recouvert d’une couche de tonte de gazon ou de paille. Certains s’aventurent à imaginer qu’il s’agit d’une technique miraculeuse pour les jardiniers paresseux qui sèmeraient à tout vent et qui récolteraient l’abondance au jardin sans efforts ! Pour d’autres, ce serait un mouvement accaparé par des groupes de joyeux hippies vivants dans des yourtes retranchées au milieu des bois se nourrissant d’amour, d’eau fraîche et de prana.
Les probables sources de confusion
Avant de nous aventurer dans des définitions, il me semblait important d’identifier les sources qui contribuent à brouiller les pistes et à en réduire l’essence à un faible pourcentage de son potentiel.
1. Le premier livre de Mollison et Holmgren, principalement axé sur l’agriculture et les aménagements paysagers
Sur la couverture du livre « Perma-culture 1 », publié dès 1978 par les co-créateurs de la permaculture, Bill Mollison et David Holmgren, on peut lire le sous-titre «Une agriculture pérenne pour l’autosuffisance et les exploitations de toutes tailles ».
De fait, à ses origines, le concept avait pour vocation de participer à un véritable renouveau agricole et traitait de la planification du paysage. Dans l’ouvrage Perma-culture 2 (écrit uniquement par Molisson), le concept s’ouvre à « Aménagements pratiques à la campagne et en ville ».
2. Le mot « Permaculture » lui-même !
La contraction des mots « perma » (permanent) et de (agri-) « culture» a tendance à stimuler l’imagination pour créer inconsciemment une appropriation personnelle et fantasmée de la définition de la permaculture. Souvent, elle va se limiter à une vision onirique tel un jardin d’Eden ou celle d’un potager dans lequel les végétaux et les animaux interagissent de manière symbiotique.
3. Les moteurs de recherche
En encodant le mot « permaculture » dans Wikipédia, vous lirez une longue et pertinente explication. Faites l’exercice et vous jugerez par vous-même. Cependant, je mets au défi quiconque de pouvoir restituer une définition claire de la permaculture en une seule phrase après avoir lu (et relu) cette longue page !
De même, si vous répétez l’opération sur Google, Ecosia, … les mots « jardin » ou « potager » vous sauteront aux yeux. Si vous activez l’onglet « images » de Google et Ecosia, vous obtiendrez principalement des images de jardins et de nature. Ecosia mérite une mention spéciale car « la fleur de la permaculture » et « les principes éthiques » apparaissent assez rapidement. Sur Youtube, le résultat sera plus éclectique : jardinage, potager, propriété résidentielles, fermes… et définition de la permaculture.
4. Les médias
Les articles de presse et les reportages TV contribuent largement à entretenir le mythe de « permaculture = jardinage » ! Toutes les sollicitations que nous avons reçues à la ferme de Desnié de la part des médias depuis huit ans vont essentiellement dans ce sens.
5. Certains milieux académiques et universitaires
Loin de moi l’envie de provoquer une polémique mais j’observe que souvent dans les facultés en agronomie, la permaculture est largement sous-estimée. Le slogan « la permaculture, ça ne marche pas sur grandes surfaces » est souvent l’alibi qui balaye d’un revers de main toute exploration en profondeur du sujet. Tout au plus, elles parleront d’agroécologie. Cependant, la jeune génération de bio ingénieurs commence à s’intéresser aux « principes de conception » proposés en permaculture et c’est de très bon augure.
6. Les formateurs en jardinage
Certains formateurs en jardinage utilisent le mot permaculture comme accroche pour attirer les clients-jardiniers potentiels. C’est la raison pour laquelle nous ne parlons pas de cours de permaculture à la ferme de Desnié sans y accrocher un sujet au préalable tel que « cours de conception ou de design en permaculture » ou « cours de jardinage en permaculture ».
7. Les réseaux sociaux
Soyons clairs, il existe une multitude de groupes de permaculteurs passionnants sur Facebook. Il y en a pour tous les goûts, certains ayant des niches spécifiques comme par exemple, la permaculture humaine. En revanche, il subsiste encore quelques groupes qui portent un nom se limitant au mot permaculture sans y accrocher une spécificité. En général ces groupes traitent de sujets autour du jardinage.
La ou les définition-s de la permaculture :
Je vais (enfin) vous proposer un florilège de définitions qui vous permettront de choisir celles qui vous parleront le mieux. Il existe autant de définitions différentes que de permaculteur-rice-s. Vous trouverez en bas de page, les auteurs des définitions ci-dessous.
« La permaculture c’est une démarche de conception éthique visant à créer des habitats humains durables et ce en imitant le fonctionnement de la nature ». (1)
« Son objectif est de concevoir des installations humaines qui fonctionnent autant que possible, comme les écosystèmes naturels. La permaculture permet à chacun d’inventer un mode de vie qui lui corresponde en harmonie avec la planète ». (2)
« L’objectif principal de la permaculture est de réduire notre impact écologique. Ou plus exactement, de transformer notre impact écologique négatif en impact positif » (3)
« La permaculture est une combinaison de nombreuses compétences et disciplines, réunies pour concevoir des façons de vivre durablement au 21e siècle ». (4)
« La permaculture est avant tout un système conceptuel fondé sur le design, un terme qui décrit tout le processus d’étude du site et de ses occupants, afin de dessiner ensuite un projet parfaitement adapté. Elle n’est pas un ensemble de techniques agricoles. Son objet est plus vaste et concerne potentiellement toutes les réalisations humaines ». (5)
« C’est un système permanent au service de l’humanité ». (Texte original: It’s a persistent system that supports human existence). (6)
« La permaculture, vision du monde de l’après-pétrole ». (7)
« C’est la science de la conception basée sur des principes éthiques. En reliant toutes les disciplines ensembles on parvient à combler tous les besoins humains tout en étant bénéfique pour toutes les formes de vie sur Terre ». (Texte original: Permaculture in an ethical design science. It’s the science of design anchored in ethics where we connect all the disciplines together to provide all the needs for humanity in a way that’s beneficial to life on earth in all its forms). (8)
Et enfin, je vous propose ma vision de la permaculture !
C’est celle avec laquelle je me sens le plus à l’aise et qui me parait pédagogiquement adéquate. C’est-à-dire, assimilable et clairement restituable… en une seule et courte phrase.
La permaculture c’est l’art de concevoir des habitats humains soutenables inspirés des écosystèmes naturels (version courte).
La permaculture est une philosophie, une science et un art qui permet de concevoir des lieux de vie harmonieux, productifs, autonomes, durables et solidaires (version allongée).
J’accompagne toujours ces définitions par l’explication des concepts suivants tirés des travaux de David Holmgren :
Les 3 principes éthiques. (9)
La permaculture est fondée sur trois principes éthiques indissociables : Prendre soin de la terre, Prendre soin de l’humain, Partager équitablement les ressources et les surplus.
En 1988, dans son ouvrage « A designer’s manual », Bill Mollison a ensuite jugé utile d’en ajouter 2 autres : Limiter la consommation et … Limiter la population mondiale.
La fleur de la permaculture (aux 7 pétales). (10)
L’éthique est au coeur des sept grands domaines d’activités humaines : Soins à la nature et à la Terre, Habitat, Outils et Technologies, Enseignement & Culture, Santé & Bien-être Spirituel, Finance & Economie, Foncier et Gouvernance. 1
Les 12 principes de conception/Design. (11)
Observer et interagir, Collecter et stocker l’énergie, Créer une production, Appliquer l’auto-régulation et accepter la rétroaction, Utiliser et valoriser les services et les ressources renouvelables, Ne pas produire de déchets, Partir des structures d’ensemble pour arriver aux détails, Intégrer plutôt que séparer, Utiliser des solutions à de petites échelles et avec patience, Utiliser et valoriser la diversité, Utiliser les interfaces et valoriser les bordures, Utiliser le changement et y réagir de manière créative.
Hommage aux co-inventeurs du concept de la permaculture :
Bill Mollison et David Holgren sont les 2 co-créateurs du concept de la permaculture né en Australie au milieu des années 70. Bill Mollison a reçu en 1981 pour son travail, le Right Livelihood Award, plus largement connu sous le nom de « prix Nobel alternatif ».
Voilà ! J’espère que cet article vous servira de référence et vous permettra d’intégrer avec justesse la définition et les finalités de la permaculture. En général, lorsque l'on parle de permaculture, les mots "holistique" et "systémique" sont souvent mentionnés. J'ai préféré ne pas complexifier le sujet à ce stade afin que les lecteurs puissent infuser tranquillement la définition de la permaculture et son infini potentiel.
Si vous êtes en quête de sens, d’éthique, de changements et/ou de solutions, je vous invite à suivre un PDC (Permaculture Design Course) ou un CCP en français (Cours de Conception en Permaculture). Cette formation (de minimum 72h de cours) dispensée partout dans le monde offre une approche holistique et systémique. Elle vous permettra de vivre une magnifique expérience transformative.
REFERENCES :
(1) Benjamin Broustey - Ecopreneur et designer en permaculture, fondateur de PermacultureDesign
(2) Perrine et Charles Hervé-Gruyer – Permaculture, guérir la terre, nourrir les Hommes.
(3) Patrick Whitefield - professeur en permaculture et contributeur de la revue Permaculture Magazine.
(4) Ian Lillington – autheur du livre Holistic Life
(5) Perrine et Charles Hervé-Gruyer – Vivre avec la Terre
(6) Interview with Bill Mollison – ecofilm – Youtube
(7) Yves Cochet – ancien député, ministre de l'Environnement et de l'Aménagement du territoire vice-président de l'Assemblée nationale Française.
(8) The Weedy Garden - WHAT IS PERMACULTURE? Meeting the guru himself, Geoff Lawton – Youtube
BIBLIOGRAPHIE :
Permaculture, A designer ‘s Manual, Bill Mollison, Tagari Publications, Australia
Perma-culture 1 & 2, Bill Molisson & David Holmgren
Permaculture, Principes et pistes d’action pour un mode de vie soutenable, David Holmgren, L’écopoche
Permaculture, guérir la terre, nourrir les hommes, Perrine et Charles Hervé-Gruyer, Actes Sud
Vivre avec la Terre, Perrine et Charles Hervé-Gruyer, Actes Sud/Ferme du Bec Hellouin
La permaculture & Nous, Looby Macnamara, Editions Permasens
GLOSSAIRE :
La soutenabilité répond aux besoins des générations présentes (en particulier des plus démunis) sans compromettre la capacité des générations futures à répondre à leurs propres besoins.
Holistique : Holistique vient du grec, holos, qui signifie la totalité, l'entier. Qui prend en compte une chose dans sa totalité, qui analyse quelque chose sans le diviser en parties, qui traite le tout plutôt qu’une section. Par exemple, une vision holistique de l'être humain tient compte de ses dimensions physique, mentale, émotionnelle, familiale, sociale, culturelle, spirituelle.
La systémique est une manière de définir, étudier, ou expliquer tout type de phénomène, qui consiste avant tout à considérer ce phénomène comme un système : un ensemble complexe d’interactions, souvent entre sous-systèmes, le tout au sein d’un système plus grand. Elle se distingue des approches traditionnelles qui s'attachent à découper un système en parties sans considérer le fonctionnement et l'activité de l'ensemble, c'est-à-dire le système global lui-même.
A propos de l’auteur :
Jean-Cédric Jacmart est la personne source de la ferme de Desnié et de la coopérative Le Petit Monde de Desnié. Passionné par l’éthique et les outils offerts par le mouvement de la permaculture depuis 2013, il est animé par le questionnement de l’empreinte écologique et des dégâts infligés à l’environnement par les activités humaines. Il a suivi plusieurs cours certifiés de Design en permaculture (PDC/CCP), notamment à la ferme du Bec Hellouin en Normandie, au Viel Odon en Ardèche et en Jordanie dans la cadre de l’opération « Greening the desert » avec Geoff Lawton.
Formateur, auteur et designer, il est le co-fondateur des bureaux de design en permaculture Padia et Canopy Design, qui conçoivent des projets de fermes et de lieux productifs, résilients, soutenables et solidaires en Belgique, Luxembourg, France, Espagne, Maroc, …
Le Petit Monde de Desnié est une école et une microferme laboratoire de référence en permaculture. Nous enseignons la science et l’art de créer des lieux de vie harmonieux, productifs, autonomes et solidaires. www.desniepermaculture.com
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